Non, le croissant n’est absolument pas une invention française et son histoire viennoise va vous stupéfier

Non, le croissant n’est absolument pas une invention française et son histoire viennoise va vous stupéfier

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Rédigé par Émilie

2 octobre 2025

Emblème du petit-déjeuner à la française, fierté nationale croustillant sous la dent, le croissant est indissociable de l’image de la France à travers le monde. Pourtant, un examen attentif de ses origines révèle une histoire bien plus complexe et surprenante. Contrairement à une croyance populaire tenace, cette viennoiserie n’a pas vu le jour dans une boulangerie parisienne, mais bien plus à l’est, dans un contexte de conflit et de célébration. Son histoire est celle d’un voyage, d’une transformation et d’une formidable appropriation culturelle qui mérite d’être contée.

L’origine viennoise du croissant : une surprise historique

L’acte de naissance du croissant ne se trouve pas dans les registres français, mais dans les annales de la ville de Vienne, capitale de l’actuelle Autriche. C’est un événement militaire majeur qui est à la source de sa création, bien loin de l’ambiance feutrée des cafés parisiens où on aime tant le déguster aujourd’hui.

Le siège de Vienne de 1683

L’histoire nous ramène en 1683, lorsque la ville de Vienne est assiégée par les armées de l’Empire ottoman. Après deux mois d’un siège éprouvant, les troupes viennoises, aidées par des renforts polonais, repoussent l’envahisseur et remportent une victoire décisive. Pour célébrer cette libération, les boulangers de la ville auraient eu une idée pour le moins symbolique. Ils décidèrent de créer une pâtisserie spéciale pour immortaliser ce triomphe et, par la même occasion, se moquer de l’ennemi vaincu.

Le kipferl : l’ancêtre direct

Cette nouvelle pâtisserie fut baptisée kipferl, qui signifie « petite corne » ou « croissant » en allemand. Sa forme n’a pas été choisie au hasard : elle imitait délibérément le croissant de lune, symbole emblématique présent sur le drapeau ottoman. L’idée était simple et puissante : en mangeant un kipferl, les Viennois « croquaient » symboliquement leurs adversaires. Ce premier ancêtre du croissant était alors confectionné à partir d’une pâte levée assez dense, plus proche de la brioche ou du pain au lait que de la pâte feuilletée légère que nous connaissons.

Ainsi, la genèse de ce que nous considérons comme un trésor national français est en réalité un acte de commémoration guerrière autrichienne. Cette origine, souvent méconnue, ancre le croissant dans une histoire européenne riche et mouvementée, bien avant qu’il ne franchisse la frontière pour venir conquérir la France.

Les légendes autour de la création du croissant

Comme pour toute grande invention, l’histoire du kipferl viennois est enjolivée par des légendes qui ajoutent une touche de romanesque à son origine factuelle. Ces récits, bien que difficiles à vérifier, participent au mythe et à la fascination qui entourent cette viennoiserie.

Le conte des boulangers héros

La légende la plus répandue raconte que ce sont les boulangers de Vienne qui ont sauvé la ville. Travaillant tard dans la nuit, bien avant l’aube, ils auraient été les premiers à entendre les bruits sourds des soldats ottomans tentant de creuser un tunnel sous les remparts de la cité. Alertant immédiatement la garde, ils auraient permis de déjouer l’attaque surprise et de repousser l’assaut. Pour les récompenser de leur vigilance, le roi leur aurait accordé le privilège exclusif de fabriquer une pâtisserie commémorative. C’est ainsi que serait né le fameux kipferl, en forme de croissant, un hommage direct à leur rôle de sentinelles nocturnes.

Un symbole de victoire aux multiples facettes

Au-delà du simple fait de « manger l’ennemi », le croissant de lune portait plusieurs symboliques. Il représentait non seulement la défaite ottomane, mais aussi la victoire de la chrétienté. Cette pâtisserie devint rapidement populaire à Vienne et dans tout l’empire austro-hongrois, se chargeant d’une forte connotation patriotique. Chaque bouchée était un rappel de la résilience et du triomphe de la ville. Cette histoire, qu’elle soit entièrement vraie ou en partie légendaire, a solidement ancré le kipferl dans le patrimoine culturel autrichien.

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Cette viennoiserie chargée d’histoire ne resta cependant pas confinée aux frontières de l’Autriche. Son destin était de voyager et de connaître une transformation qui allait lui assurer une renommée mondiale, un voyage qui débuta par une destination de choix : Paris.

Le voyage du croissant jusqu’à la France

Ce n’est qu’au XIXe siècle que le kipferl entame son périple vers l’ouest pour arriver en France. Son introduction à Paris n’est pas le fruit du hasard, mais l’initiative d’un entrepreneur autrichien qui importa avec lui un morceau de sa culture natale.

L’ouverture de la « Boulangerie Viennoise »

Vers 1838-1839, un officier autrichien du nom d’August Zang décide d’ouvrir un commerce à Paris, au 92 de la rue de Richelieu. Son établissement, la « Boulangerie Viennoise », propose des spécialités de son pays jusqu’alors inconnues des Parisiens. Parmi elles, le fameux kipferl. Le succès est immédiat. Les Parisiens, toujours curieux de nouveautés, se pressent pour goûter ces pains et pâtisseries venus d’ailleurs. Le kipferl, avec sa forme originale et son histoire, séduit particulièrement.

L’imitation et l’adaptation par les boulangers parisiens

Face à l’engouement pour les produits de la « Boulangerie Viennoise », les artisans parisiens ne tardent pas à réagir. Ils commencent par imiter la recette du kipferl, puis, très vite, ils se l’approprient en la modifiant. C’est le début d’un processus de « francisation ». Les boulangers français, maîtres dans l’art du travail de la pâte et du beurre, vont progressivement transformer la recette originale. Ils abandonnent la pâte de type briochée pour une pâte qui deviendra la clé de voûte du croissant moderne : la pâte feuilletée.

Le kipferl autrichien avait planté une graine en terre parisienne. Il revenait désormais aux artisans locaux de la faire germer pour donner naissance à une création qui, tout en gardant sa forme, allait acquérir une identité et une saveur entièrement nouvelles.

Le croissant : un symbole de la pâtisserie française

L’arrivée du kipferl à Paris marque le début de sa métamorphose. Les boulangers français, avec leur savoir-faire unique, ne se sont pas contentés de copier la recette. Ils l’ont réinventée pour en faire le croissant que le monde entier associe aujourd’hui à la France.

La révolution de la pâte feuilletée

La transformation la plus significative fut l’introduction de la pâte levée feuilletée. Cette technique complexe, qui consiste à envelopper un pâton de détrempe dans du beurre puis à le plier et à l’étirer plusieurs fois (le « tourage »), donne au croissant sa texture unique : croustillante à l’extérieur, fondante et alvéolée à l’intérieur. C’est cette utilisation généreuse de beurre de qualité qui confère au croissant français sa saveur riche et inimitable, le distinguant radicalement de son ancêtre viennois plus dense. Cette innovation majeure apparaît progressivement et se généralise au début du XXe siècle.

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La consécration dans les écrits culinaires

La première mention écrite d’une recette de croissant en France remonte à 1906, dans la « Nouvelle Encyclopédie culinaire » d’Auguste Colombié. Plus tard, en 1938, le prestigieux Larousse gastronomique officialise la chose en décrivant le croissant comme une « pièce de pâte feuilletée fine en forme de croissant », tout en prenant soin de mentionner ses origines viennoises. Cette reconnaissance dans les ouvrages de référence culinaire achève de sceller le statut du croissant comme un classique de la boulangerie française. Il n’est plus une simple spécialité importée, mais bien un produit du terroir, perfectionné par le génie des artisans locaux.

Cette évolution technique et culturelle a façonné le croissant pour en faire bien plus qu’une simple viennoiserie, mais un véritable marqueur de l’identité gastronomique française, dont la forme et la recette ont continué de s’affiner au fil du temps.

L’évolution du croissant à travers les siècles

Du kipferl de 1683 au produit mondialisé du XXIe siècle, le croissant a connu de nombreuses évolutions. Sa recette, sa forme et même sa signification ont changé pour s’adapter aux goûts et aux pratiques de chaque époque.

Tableau comparatif : du kipferl au croissant

Le tableau ci-dessous met en lumière les différences fondamentales entre la version originale autrichienne et la version française moderne, fruit d’une longue évolution.

Caractéristique Kipferl viennois (XVIIe siècle) Croissant français (XXe siècle)
Type de pâte Pâte levée simple (type briochée) Pâte levée feuilletée
Matière grasse Peu de beurre ou autre matière grasse Beurre de tourage en grande quantité
Texture Dense, mie compacte, proche du pain Aérienne, croustillante, alvéolée
Saveur Douce et simple Riche, complexe, avec un goût de beurre prononcé

La forme : un indicateur de qualité ?

Une autre évolution notable concerne la forme du croissant. En France, une distinction est apparue au cours du XXe siècle :

  • Le croissant droit, dit « croissant au beurre », est traditionnellement fabriqué avec du beurre pur.
  • Le croissant courbé, en forme de lune, est souvent appelé « croissant ordinaire » et peut être fabriqué avec d’autres matières grasses comme la margarine.

Cette distinction, bien que non officielle, est encore respectée par de nombreux artisans boulangers qui voient dans la forme droite un gage de qualité supérieure et de respect de la tradition pur beurre.

 

Le croissant, désormais bien ancré dans les habitudes françaises et doté de ses propres codes, était prêt à conquérir de nouveaux horizons et à devenir un phénomène planétaire.

La popularité mondiale du croissant : de Vienne à nos jours

Après avoir été adopté et perfectionné par la France, le croissant a entamé une troisième vie : celle d’une icône mondiale de la gastronomie. Son succès dépasse aujourd’hui largement les frontières de l’Europe.

L’ambassadeur de la « boulangerie à la française »

Le rayonnement de la culture française au XXe siècle, et notamment de sa gastronomie, a joué un rôle majeur dans la diffusion du croissant. Considéré comme un produit de luxe et de raffinement, il a été exporté dans le monde entier en même temps que le savoir-faire des boulangers français. On le retrouve aujourd’hui dans les vitrines des boulangeries de New York à Tokyo, en passant par Sydney ou Dubaï, où il symbolise un certain art de vivre à la française.

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Des adaptations culturelles infinies

Loin de rester figé dans sa recette parisienne, le croissant a su s’adapter aux goûts locaux, donnant naissance à une multitude de variantes. Cette capacité d’adaptation est la preuve de son incroyable popularité. Parmi les déclinaisons les plus connues, on peut citer :

  • Le croissant aux amandes, garni de frangipane et saupoudré d’amandes effilées.
  • Le pain au chocolat, qui utilise la même pâte mais dans une forme différente.
  • Les croissants salés, garnis de jambon, de fromage, d’épinards ou de saumon.
  • Des créations plus audacieuses comme le « cronut » (un hybride de croissant et de donut) ou des versions fourrées au matcha ou à la pâte de haricots rouges en Asie.

Cette créativité sans fin montre que l’histoire du croissant est loin d’être terminée.

 

L’histoire du croissant est un fascinant témoignage de la manière dont les traditions culinaires voyagent, se transforment et s’enrichissent au contact des cultures. Né à Vienne comme un symbole de guerre, il a été adopté et sublimé à Paris pour devenir un emblème de la gastronomie française. Aujourd’hui, cette viennoiserie est un produit universel, apprécié sur tous les continents. Son parcours rappelle que derrière un aliment simple se cache souvent une histoire complexe, faite d’échanges et d’innovations qui transcendent les frontières.

Émilie

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